Edito grand parentalite ecole des parents

Jeanne, Victor et Georges Hugo en 1877

Retrouvez et commandez notre revue dédiée aux questions liées à la grand-parentalité : Revue n° 637

L’Art d’être Grand-père

« Moi qu’un petit enfant rend tout à fait stupide,

J’en ai deux ; Georges et Jeanne ; et je prends l’un pour guide,

Et l’autre pour lumière, et j’accours à leur voix, »

Victor Hugo

En 1871 Victor Hugo vit un nouveau drame familial avec le décès prématuré de son fils Charles. Celui-ci laisse deux enfants âgés de 3 et 2 ans, Georges et Jeanne, que Victor Hugo va recueillir avec leur mère Alice. Victor Hugo se lance alors dans une de ses dernières œuvres qui sera un recueil poétique : l’Art d’être Grand-père. Il est émouvant de penser que cet immense écrivain, auteur d’Hernani, de La légende des Siècles ou des Misérables, alors au faîte de sa gloire, nous laisse comme testament poétique, un ouvrage des plus intimes inspirés par ses petits enfants. A travers ce recueil de 27 poèmes publiés en 1877 sont abordés de nombreux thèmes en rapport avec la grand parentalité.

« Tout pardonner, c’est trop ; tout donner, c’est beaucoup !

Eh bien, je donne tout et je pardonne tout

Aux petits ; et votre œil sévère me contemple. »

Victor Hugo est un étonnant grand-père si on se remplace dans le contexte de l’époque. A l’opposé des patriarches sévères, il revendique le fait de gâter ses petits-enfants, entrant ainsi en conflit avec son entourage et sans doute avec sa belle-fille. Grand-père que l’on pourrait qualifier de moderne, il est à l’écoute des besoins de ses petits-enfants et s’inscrit résolument comme beaucoup de grands-parents d’aujourd’hui dans un rôle affectif. Dans son ouvrage consacré à son grand-père, Georges Hugo raconte comment s’est créé le surnom de son grand-père : Papapa, là encore Victor Hugo se révèle être un précurseur acceptant avec bonheur d’être nommé par ses petits enfants.

Semblable aux grands-parents d’aujourd’hui, ses petits enfants lui sont précieux car malgré le fait que Victor Hugo ait eu 5 enfants, il n’eut que 3 petits enfants dont deux seulement survécurent. On connaît les drames de sa vie avec le décès tragique de sa fille Léopoldine, la maladie mentale de sa fille Adèle, sans compter les décès prématurés de ses 3 fils. Il est donc fort compréhensible qu’il ait reporté son affection sur ses petits-enfants en qui il revoit son fils Charles.

« Et moi qui suis le soir, et moi qui suis la nuit,

Moi dont le destin pâle et froid se décolore,

J’ai l’attendrissement de dire : ils sont l’aurore. »

Si à la naissance de son premier petit fils en 1867, Victor Hugo est âgé de 65 ans, ce qui aujourd‘hui n’est pas un âge avancé, il a l’apparence d’un grand-père avec sa barbe poivre et sel. Lorsqu’il pose à la publication du recueil avec ses petits enfants, sa barbe et ses cheveux sont devenus totalement blancs. C’est toutefois un homme des plus robustes et des plus actifs, capable à 76 ans de monter les marches 4 à 4, continuant à écrire, engagé politiquement, ayant une vie sociale bien remplie, comme bien des grands-parents d’aujourd’hui. Nulle obsession chez lui pour le jeunisme qui dans la fin du XIXème siècle n’est pas d’actualité, ses vers montrent qu’il accepte son vieillissement. Il  revendique son rôle d’aïeul, de passeur, et est conscient de la nécessité d’être le porteur de cette génération qui lui succède. La dernière partie du recueil qui s’intitule « Que les petits liront quand ils seront grands » est une véritable transmission des valeurs chères à Victor Hugo : fraternité, persévérance, vérité, progrès sans oublier l’amour qui traverse l’ensemble de l’ouvrage. Georges des années plus tard témoignera de l’importance que son grand-père eut dans son existence dans le livre de souvenirs qu’il lui consacrera : « C’est notre Papapa qui après avoir joué comme un petit avec les touts petits, cause avec l’adolescent, conseille le jeune homme, qui conte de belles histoires, des histoires pour les yeux et parle de la conscience, de la beauté, de l’amour. »

« Je n’ai point d’autre affaire ici-bas que d’aimer. »

Lorsqu’il prend en charge l’éducation de ses petits enfants il est âgé de 69 ans, il aura la chance de les voir grandir et de s’occuper d’eux jusqu’à leur adolescence (Victor Hugo décède en 1885). Même lorsque leur mère se remariera en 1877 (avec un proche de Victor Hugo), ils continueront de voir leur grand-père quotidiennement résidant dans l’appartement au dessus. Aujourd’hui le temps de la grand parentalité se raccourcit et les ruptures générationnelles sont fréquentes. L’absence d’évènements familiaux, de fêtes de regroupement s’ajoute à l’éloignement des grands enfants de leurs grands parents et si le lien n’est pas entretenu, il s’appauvrit. Les séparations et les recompositions familiales des parents comme des grands parents sont aussi des obstacles, il devient difficile de partager les petits enfants autour des fêtes, des anniversaires.. Ogre charismatique, Victor Hugo agrégea sa famille autour de lui, sa maîtresse Juliette Drouet participant à la vie familiale après le décès de son épouse Adèle Foucher en 1868.

« Ils arrivent, hélas ! à l’heure où nous fuyons. »

Excepté l’écrit de Georges, on dispose de peu de témoignages directs des petits enfants de Victor Hugo concernant leur relation avec leur grand-père. Ayant perdu leur père très jeunes, ayant été élevés par leur grand-père dès leur plus jeune âge, il est toutefois certain que son décès fut pour eux un moment difficile, même si à la fin du XIXème siècle la mort était appréhendée bien différemment d’aujourd’hui. De nos jours les grands parents sont souvent les premiers êtres qui meurent autour de l’enfant. Evénement initiatique auquel les petits-enfants ne se sont pas toujours préparés dans une société qui cache, voire nie la mort. Dans l’Art d’être Grand-père, Victor Hugo, lui n’esquive pas le sujet et aborde sa propre fin à plusieurs reprises.

« En les voyant on croit se voir soi-même éclore;

Oui, devenir aïeul, c’est rentrer dans l’aurore. »

Devenir grand-parent c’est aussi un retour vers sa propre enfance. Des souvenirs reviennent au travers des petits-enfants, en lien avec son enfance ou celle de ses propres enfants. Cette thématique revient à plusieurs reprises dans l’Art d’être Grand-père et un poème s’intitule « Les fredaines du grand-père enfant ». Bouclant la boucle et pour conclure cette pérégrination autour de la grand parentalité en compagnie de Victor Hugo, j’évoquerais la mémoire de ma propre grand-mère Simone, qui m’a élevé durant mon adolescence et qui lorsque j’étais enfant me récitait le poème « Jeanne était au pain sec ». Née en 1904, elle a traversé le XXème siècle comme Victor Hugo le XIXème et l’adulte que je suis aujourd’hui lui doit beaucoup.

« Jeanne était au pain sec dans le cabinet noir,

Pour un crime quelconque, et, manquant au devoir,

J’allai voir la proscrite en pleine forfaiture,

Et lui glissai dans l’ombre un pot de confiture

Contraire aux lois. »

Docteur Christophe SCHMITT,

Psychiatre,

Président de l’EPE de Moselle

Toutes les citations sont extraites de l’Art d’être Grand-père de Victor Hugo publié en 1877 exceptée une de Georges Hugo extraite de Mon Grand-père publié en 1902.

Jeanne, Victor, Georges Hugo et Alice Lehaene Hugo en 1884

 

Sylviane Giampino          

Pourquoi les pères travaillent-ils trop ?

 Albin Michel, 2019

 

Analyse de livre par Michel Wawrzyniak, Rédacteur en chef, L’école des Parents

Voilà un livre important, avant tout « adressé aux hommes… », nous dit l’auteure. Ce n’est pas la seule raison pour laquelle nous l’avons lu. La parole de Sylviane Giampino nous importe. Psychologue de l’enfance et psychanalyste, spécialiste des questions d’éducation et de politiques publiques, Sylviane Giampino est présidente du Conseil Enfance et Adolescence, vice-présidente du Haut Conseil de la Famille, de l’Enfance et de l’Age (HCFEA). Son dernier livre donne rendez-vous à ces différents niveaux de compétence et d’engagement en les articulant avec esprit et bonheur.

Partant de sa pratique quotidienne avec les enfants, l’auteure estime utile de « sonner l’alerte au sujet de l’impact non de la réalité professionnelle mais de la façon dont cette réalité est portée par les parents ».

Après avoir sensibilisé les mères aux effets néfastes de leurs culpabilités maternelles et professionnelles dans un de ses livres précédents Les mères qui travaillent sont-elles coupables ? (2007), elle en vient aujourd’hui à « interpeller les pères (et les mères qui s’en font complices) sur l’urgence d’une prise de conscience des effets de la priorisation professionnelle des hommes ; de ce qu’elle recouvre et comment elle affecte le développement et l’éducation des petites filles et des petits garçons ».

Le projet est ample et ambitieux, voilà pourquoi il s’agit d’un livre important pour penser ensemble la parentalité d’aujourd’hui.

Afin de soutenir l’interrogation portée par le titre de son ouvrage, l’auteure avance ce constat selon lequel « …la relation des pères à leur travail ne s’est pas autant transformée que leur proximité avec leurs enfants ».  Autre déclinaison de ce constat : Les hommes ont changé dans leur sensibilité, leurs désirs et leurs discours, mais ils résistent dans la réalité de leurs conduites, la gestion de la maison, les soins aux enfants et le partage des responsabilités parentales. Ils oscillent depuis les années 1980 entre modèles progressistes et conduites conservatrices tandis que de leur côté, les femmes ont changé leur rapport au travail, à la maison, avec les enfants et les hommes.

Le contexte ainsi posé, l’auteure nous propose un éclairage en trois temps. D’abord, par l’analyse des ambiguïtés du rapport actuel des hommes au travail et à leur vie de famille, les vacillements que cela génère sur le couple conjugal et sur le couple parental. Ensuite, par la proposition d’une interprétation du sens social de cette résistance masculine : « et si, sans qu’ils le sachent eux-mêmes, ce blocage des hommes venait requestionner les voies du progrès vers plus d’égalité au travail, à la maison, auprès des enfants, telles que dégagées à ce jour ? ». Enfin, en abordant la question : « et si les hommes, suspendus entre deux eaux, se faisaient, sans le savoir, les révélateurs que la question familiale et sociale et sociale est aussi une question humaine ? Révélateurs du désarroi qui se creuse entre les sexes, lié à une insécurité des identités sexuées et au besoin d’amour malmené, dont tout le monde souffre ? ».

Sylviane Giampino est directe dans ses formulations, elle considère le triangle enfants-travail-couple comme « un combat » : « Décennies après décennies, le constat sociologique reste le même, les études montrent que les écarts entre pères et mères dans les responsabilités familiales demeurent autant que les inégalités entre hommes et femmes au travail et dans la sphère politique et sociale ». Elle nous bouscule encore quand elle évoque « …la bataille de la conciliation entre la vie familiale et le travail » et quand elle se demande « combien d’enfants sont sacrifiés sur l’autel de l’angoisse au travail ? ».

Selon l’auteure, « les pères qui investissent leur famille et veulent y être plus présents se sentent coupables car aujourd’hui le monde du travail ne leur pardonne pas. Le monde du travail se défile de sa responsabilité sociétale en laissant les hommes et les femmes patauger dans l’impossible équilibre entre vie de couple, enfants, intendance et engagement professionnel au détriment de la génération future. Seulement voilà, le monde travail, c’est qui ? Qui décide ? Aux commandes, des hommes, en majorité. Encore »

Au lecteur qui se demanderait si la généralisation de cette désignation : « les hommes » ne vient pas « les » mettre tous sur le même plan dans leurs représentations et leurs manières de faire, il est rappelé des données chiffrées, issues d’études sociologiques et statistiques, précises. Par exemple, les enquêtes « Emploi du temps » de l’Insee montrent que « Tandis que les mères s’occupent de leurs enfants en moyenne quatre vingt-quinze  minutes chaque jour, cette moyenne plafonne à quarante et une minutes  chez les pères » (Le temps domestique et parental des hommes et des femmes : quels facteurs d’évolutions en 25 ans ? Insee-Economie et statistique, n°478-479-480, 2015). Ou encore celle publiée par le Secrétariat d’Etat chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes.  (Chiffres-clés, 2018) « les femmes assument 72% *des tâches domestiques et leurs consacrent une heure et demie de plus que les hommes chaque jour ». Les faits sont là. Pour les analyser en espérant des effets de changements, Sylviane Giampino évoque malicieusement un scénario mental en quatre actes concernant l’attitude des pères : « Se mettre en situation mentale de non-choix pour foncer, pour ne pas sentir le doute peser sur le choix. Des mécanismes obsessionnels de défense contre l’angoisse viennent ici à la rescousse pour renforcer la priorisation professionnelle. Ce n’est pas toujours par égoïsme, par forcément par inconscience des enjeux pour sa compagne ou ses enfants, mais c’est efficace puisque ça sert la cause professionnelle. Si cela n’avait pas quelques effets bénéfiques, les hommes auraient renoncé au « travail d’abord », ainé de leurs soucis, pour le reléguer en position de cadet. Parmi ces mécanismes, un scénario mental en quatre actes : acte I, éviter la question familiale. Acte II, isoler la question professionnelle. Acte III, cliver mentalement les deux, ne pas les mettre en balance. Dernier acte, rationaliser l’autocontrainte : « Je n’ai pas le choix ». Il ne reste plus alors qu’à légitimer la décision par l’une ou l’autre de ces valeurs : le sens des responsabilités, du devoir, ou celui de l’engagement, de l’honneur, du service, valeurs auxquelles s’ajoutent les bénéfices attendus pour la famille, l’ouverture des enfants sur une autre vie, une autre langue, des revenus meilleurs… Ou inspirer la compassion pour tant d’abnégation ».

Analysant l’enjeu professionnel vécu comme le roc d’un réel tout-puissant, l’auteure souligne qu’en cas de pression, « les pères clivent, délèguent. Les mères relient et tentent l’articulation des sphères. Elles se trouvent mentalement et physiquement en position de variable d’ajustement. Et, hélas, les enfants aussi. » Ces formules heureuses parlent de l’astigmatisme des hommes : « Ils mesurent ce qu’ils conquièrent et pas à ce quoi ils s’exposent, eux et leurs proches ». Se trouvent également évoquées des conceptions sous-jacentes de la famille quand l’auteure nous propose des définitions alternatives – en confrontation – de celle-ci telle que : « La famille, première valeur des Français, espace de consolation ? Autre version du repos du guerrier ? Ou la famille, espace d’investissement bien-traitant, de projets communs, de réalité par chacun assumée ? ».

Cet ouvrage qui appuie solidement les arguments de sa réflexion sur des données sociologiques nous offre aussi des moments de surplomb historique et éthique dans lesquels se trouve retracée l’histoire de la mère « imparfaite » puis celle des parents « imparfaits », l’auteure évoquant « l’éthique de la fonction maternelle qui réside donc dans la souplesse de la mère à se rétracter pour ouvrir de l’espace aux autres et permettre la richesse d’autres liens à son enfant » alors que  « s’est construit au fil du temps un schéma du père comme exerçant la fonction symbolique….Comme si les femmes qui portent le bébé à la vie n’étaient pas également porteuses de repères symboliques ».

C’est à une réelle dimension de profondeur que l’ouvrage nous fait accéder quand il met en exergue à quel point « les tout-petits sont humanisants » : « chaque enfant va renouveler la donne parentale » ; « L’enfant demande à ceux qui s’occupent de lui du temps, de la profondeur, du sens, de la pensée et de l’imagination, de la liberté. Les tout-petits sont en cela humanisants pour les adultes, les parents et les professionnels qui se tiennent au plus près d’eux. »

Ce passage du livre fait écho à ce que nous avait fait découvrir René Clément, promesse de toute une génération de psychologues cliniciens mobilisés par les questions de la parentalité – et parmi les premiers à utiliser ce terme – qui parlait dans son ouvrage de 1993, Parents en souffrance, de la famille comme (premier) « dispositif d’humanisation ». Sylviane Giampino considère, pour sa part, les tout-petits enfants comme humanisants pour les adultes, les parents et les professionnels qui se tiennent au plus près d’eux. Grâce à cette invitation, nous garderons à présent indéfectiblement à l’esprit cette manière de regarder et d’écouter les tout-petits enfants. Peut-être pourrions-nous donc prendre appui, nous propose Sylviane Giampino, « sur ce que génèrent les jeunes enfants pour avancer vers des changements profitables. Ils sont des « ralentisseurs humanisant », car ils ne fonctionnent pas comme les grands. Ils réclament de l’espace : l’éthique du grandir, c’est celle du déploiement. Les enfants rapportent …du temps ».

La deuxième partie de cet ouvrage, intitulée Sexe, genre, égalité : quels repères pour les enfants ? traite de la vacuité de ces différenciations affectées aux deux sexes. Elle nous fait plonger dans des moments de lecture qui font accéder à l’intime de la construction psychique de chacun. Avec des interrogations comme : « Et si les terreurs familiales des hommes d’aujourd’hui s’enracinaient dans les terreurs nocturnes du tout petit garçon d’hier ? », les analyses développées vont au cœur du développement du jeune enfant pour comprendre les freins des pères. Ainsi, ce livre revisite les classiques sur le premier développement des petites filles et des petits garçons et analyse « l’effet anxiogène de certaines dérives de la déconstruction de la distinction entre les sexes »

C’est sans doute dans cette partie du livre que s’entrelacent de la manière la plus vive les différentes compétences de l’auteure et que la clinicienne nous fait plonger au cœur de la construction subjective en explorant l’embarras entre les sexes, creusé par l’insécurité des identités sexuées et en nous invitant, pour sortir du désarroi, « à s’inventer des théories sexuelles…pas seulement infantiles ». Sylviane Giampino estime qu’« Il y a une éthique de la modernité à trouver entre les rôles parentaux et les rapports de sexe et de pouvoir ».

Délibérement, nous ne rendrons pas davantage compte ici de cette exploration pour laisser le lecteur y plonger lui-même avec le ravissement des propositions interprétatives avancées à travers les audacieux rapprochements qui y sont opérés. C’est une invitation à cette  perspective de lecture à vivre par soi-même !

Plus facilement partageable retenons encore, toutefois, ce questionnement concernant les démarches pédagogiques des parents et des éducateurs. L’auteure évoque les pédagogies du libre choix des enfants qui s’avèrent, selon elle, « un choix implicite de non éducation à la discrimination et aux préjugés. Et de rajouter que, le commerce de masse, de l’éducatif, du ludique ou du récréatif n’a que faire d’éduquer les enfants, il flatte le stéréotype pour séduire le client » L’auteure vient surtout expliquer comment : « Le tour de passe-passe entre la construction subjective de l’identité sexuée et la transmission des stéréotypes de comportement est vite joué ».

Le livre se termine par une formule « s’aimer, travailler et élever ses enfants plus librement ». Une formule qui nous rappelle ce qu’écrit Freud de la santé psychique en avançant deux verbes «aimer et travailler ». Freud n’avait pas parlé explicitement des enfants. Sylviane Giampino le fait. Merci à elle.

Le lecteur pourra trouvera un rebond complémentaire à la lecture de ce passionnant ouvrage en se tournant vers le récent numéro de la revue L’école des parents dont le Dossier est consacré à la Petite enfance. La place des pères (n°633 nov-déc 2019).

Article en version téléchargeable.

 

Editorial du n°2 2020 de Perspectives Psy par Michel Wawrzyniak, Rédacteur en chef

Une coupure qui nous relie autrement

Le symbole était, dans la Grèce archaïque, une pièce de céramique cassée en deux qui reliait deux camps alliés qui pouvaient ainsi reconnaitre, grâce à elle, un porteur de message de l’autre camp. Le symbole était une coupure qui liait. Le symbole est une coupure qui lie.

La coupure suscitée par la pandémie et les mesures de confinement nous a éloignés les uns des autres mais elle nous a reliés autrement. Le téléphone et les appels sur Skype, Zoom, Teams… sont devenus les nouveaux canaux vitaux de nos liens humains.

La tenue de la dernière réunion du comité de rédaction via visio-conférence en aura été un exemple remarquable. Ainsi, avant de nous engager dans le traitement de l’ordre du jour concernant notre activité éditoriale en cours et à venir, chacun d’entre nous a pu évoquer sa situation personnelle et professionnelle, la réalité pesante de la Covid-19 nous marquant tous. Le fait que chacun d’entre nous soit impliqué dans des situations cliniques et institutionnelles souvent très différentes nous a offert un large panorama, à la fois vaste et très précis, des effets de la pandémie sur nos proches, nos patients, nos étudiants, nos collègues de très nombreuses professions, et nos pratiques, que ce soit au SAMU, dans les CUMP, les services de psychiatrie, d’addictologie, les CHU, les hôpitaux généraux, les services d’urgence, des numéros vert  de soutien en ligne à la parentalité en confinement, des services d’aide aux familles d’accueil, la continuité pédagogique dans les universités et centres de formations, en activité libérale….

Certains d’entre nous, touchés par le virus, participant malgré tout à notre réunion. D’autres ne le pouvant pas. Un moment exceptionnel de fraternité partagée entre nous mais aussi témoignant de nos proximités psychiques avec beaucoup d’autres. Un moment mémorable duquel a jailli, comme une évidente nécessité, le projet de témoigner de toutes ces situations, de rendre publiques et partagées nos expériences et nos réflexions dans un numéro à venir de Perspectives Psy : Epidémies et psychiatrie, dossier qui sera mené sous la direction de Jacques Fortineau et de Brice Martin.

La pandémie nous a rudement frappés. Elle a rudement frappé nos proches, nos collègues, nos patients.  A quoi tiennent nos vies ? a-t-on souvent entendu s’interroger nos interlocuteurs. Au mince fil de la protection de la distanciation physique ? Une distanciation que nos statuts de soignants n’ont pas toujours pu nous garantir. Dans le champ de la psychiatrie, de nombreux témoignages ont exprimé l’oubli chronique de la psychiatrie par les politiques * ou encore l’insuffisance en moyens matériels de protection au point que bien des collectifs ont exprimé leur colère d’être ainsi exposés à des risques dramatiquement sous-estimés, politiquement mal évalués, aux premiers temps de la pandémie **.

Si le symbole réunit deux pièces de céramique dans l’espace, il réunit aussi, dans le temps, les deux moments entre un évènement et son analyse. Viendra le temps de dire ce qui s’est vraiment passé et de tenir compte de ce à quoi nous avons été voués, une fois la crise pandémique passée. La traversée de la terra incognita *** de la pandémie ressemblera-t-elle à toute autre traversée de crise : par-delà notre vécu d’angoisse et d’incertitude aurons-nous la possibilité de créer des liens et des manières de penser et de faire nouveaux ?

La pandémie nous a bousculés dans la réalisation de ces deux premiers numéros de l’année de Perspectives Psy . Nous avons déployé tous nos efforts pour destiner à nos lecteurs ce double envoi correspondant au premier semestre de l’année 2020.

Dans le n°1/2020, Pierre Delion nous offre un éditorial, « Le moment Tosquelles », qui parle au plus près de ce que nous vivons aujourd’hui rapporté à ce que la psychiatrie des dernières décennies a eu à vivre, a eu à subir, mais aussi a su créer. « Il va donc falloir réfléchir « pour de bon » au soir de cette période noire, et entreprendre ce partage nécessaire dans la conduite des affaires du monde : les personnes et les choses ne sont pas réductibles les unes aux autres », pour reprendre Pierre Delion dans son éditorial. Un de nos deux dossiers témoigne ensuite des réflexions et des propositions d’un groupe de travail mis en place par la Fédération Française de Psychiatrie (FFP), d’abord mené par Danièle Roche-Rabreau puis par Patrick Bantman consacré à la question du « Travail avec la famille lors de l’hospitalisation pour un premier épisode psychotique ». La FFP a institué ce groupe de travail à la suite de la bouleversante lettre que lui a adressée un père de patient. Une seconde partie de ce dossier viendra le compléter dans un de nos numéros à venir. Ce dossier nous invite ainsi à reprendre la réflexion de Henri Ey qui, à propos des épisodes psychotiques aigus chez de jeunes gens, posait cette question vertigineuse : « Folie d’un moment ou début de la folie de toute une existence ». Avec ici la mise en exergue du questionnement corollaire :  « Quelle place de la famille dans une telle situation ? ». L’autre dossier déploie une réflexion relative à la Psychiatrie de la Personne Agée nous invitant à maintenir tendue notre vigilance sur les âges avancés. Le Dr Georges Jovelet aura coordonné ce numéro avec beaucoup de détermination.

Le numéro 2 /2020 est porteur, quant à lui, d’un dossier qui rend compte d’un colloque franco-canadien de psychiatrie et de psychopathologie qui s’est tenu à Montréal, en juillet 2019, organisé par le Centre de recherche et d’intervention sur le suicide, enjeux éthiques et pratiques de fin de vie (CRISE) dirigé par le Pr Réal Labelle et le Groupe d’étude de psychiatrie, psychologie et sciences sociales (GEPPSS), représenté par le Dr. Hervé Benhamou, rigoureux coordonnateur de ce dossier avec Réal Labelle. Ce colloque avait pour thème : « Dépression et conduites suicidaires à l’adolescence ».

Notre ami, le professeur Réal Labelle, est une figure bien connue en France et dans la francophonie. Il nous a fait, à de nombreuses reprises, la faveur de sa présence et de ses interventions dans les congrès organisés sur le territoire national, par exemple, celui la SFPEADA en 2017 ou de ses prestations de formation auprès de jeunes psychiatres et psychologues français, entre autres, à l’université de Picardie Jules Verne d’Amiens.

Comme lui, son ami, le Pr. Jean-Marc Guilé, qui a été rédacteur en chef de Perspectives Psy pendant sept années, connaît très bien les deux rives de l’Atlantique. Un des moments forts de ce colloque de l’été 2019 aura été d’accompagner Jean-Marc Guilé dans ses retrouvailles avec ses collègues de l’Université McGill à l’occasion de la visite du dispositif de soins pour adolescents déprimés à l’Institut Douglas. Un moment riche en émotions témoignant de l’hospitalité si généreuse qui nous aura été offerte par l’UQAM. C’est autour de nos collègues canadiens hautement spécialisés en études de suicidologie au Canada que nous avons tenu ce séminaire fermé, d’une trentaine de participants, mais ouvert sur la promesse de construire de nouvelles étapes permettant la poursuite de nos échanges devenant davantage accessibles à un public élargi. Ce dossier constitue donc une première étape de cet élargissement espéré. les contributions des collègues français participant à ce colloque franco-canadien seront publiés dans un numéro suivant.

Dans les contacts amicaux informels que nous avons eus durant ce séjour, nous nous souvenons de notre conversation avec Alain Lesage, épidémiologiste mondialement réputé, que nous avions déjà croisé lors du congrès de l’IACAPAP à Durban, en 2014, évoquant sa fascination pour l’ouvrage d’Albert Camus La peste… Un échange anté-pandémique, rétroactivement troublant et vertigineux par sa dimension prémonitoire. Nous savons que, depuis, parmi les villes nord-américaines Montréal, comme New-York, a été une des plus touchées par la pandémie. Merci à nos collègues canadiens d’avoir réussi, malgré tout, à nous envoyer leurs contributions.

Dans ces deux numéros 1 et 2/2020, plusieurs articles originaux retiendront, eux aussi,  l’intérêt de nos lecteurs.

Notamment celui Pierre Delion qui nous a accordé un entretien à la suite de l’offre faite de son éditorial. Cet entretien nous a fait nous approcher du code existentiel de la trajectoire d’un psychiatre ancré dans une psychopathologie transférentielle, porteur de valeurs humanistes et toujours ouvert aux apports de la science dans la créativité de la co-construction en équipe, en institution, insistant d’une manière vitale sur la dimension politique du métier de psychiatre. Cet entretien constitue un rebond très heureux de l’analyse de son livre Mon combat pour une psychiatrie humaine que la revue avait donnée il y trois ans.

Si le symbole réunit deux pièces de céramique dans l’espace, il réunit aussi, dans le temps, les deux moments entre un vœu que l’on formule et sa réalisation.

Alors nous souhaitons que ces deux numéros, livrés ensemble, qui parcourent, autant qu’ils le peuvent,  l’espace et le temps, l’histoire et de la géographie de la psychopathologie, des soins en psychiatrie et des sciences humaines et sociales, nous invitent à persévérer, en tant que revue, dans notre effort tendu d’y être présents et agissants avec les plus vives de nos capacités de symbolisation.

* « Psychiatrie oubliée ? », Editorial d’avril 2020 du Dr Michel David, président de la Fédération Française de Psychiatrie

** « On a été mis en danger » : à Neuilly-sur-Marne, la détresse des soignants d’un hôpital psychiatrique, BFMTV, 02.04.2020

*** « Le temps de l’incertitude », Douglas Kennedy in Le Monde des 31 mai-1erJuin 2020, p.27.

Article en version téléchargeable.